Inès de la Fressange nous reçoit chez elle, dans son nouvel appartement du IXe arrondissement, à Paris. Au dernier étage d’un immeuble haussmannien dans lequel a vécut, au XIXe siècle, un illustre compositeur inspiré par les charmes de la capitale. Cela tombe bien : aux yeux du monde entier, Inès incarne “la Parisienne”. L’ancien mannequin égérie de Karl Lagerfeld chez Chanel a consacré un livre à cette figure mythique, traduit en dix-sept langues et à plus d’1 million d’exemplaires. “Je viens pourtant de la campagne”, précise-t-elle, amusée. Proche Gassin (Var), proche Saint-Tropez –“Comme dans un roman de Sagan : ma mère y était en vacances et ça la rasait de remonter à Paris” -, Inès a passé son enfance dans les Yvelines. elle l’évoque “grenier gigantesque” du vieux moulin à eau où elle avait “Tout sous la main pour bricoler des choses. Très jeune, j’essayais aussi de coudre et de tricoter. J’aimais déjà beaucoup la mode, les vêtements”.
Sans jouer à la poupée. A l’école – un pensionnat de garçons qu’elle fréquentait en externe -, elle jouait au pied et aux billes. Bac à 16 ans. “J’ai fait ensuite de vagues petites études à l’Ecole du Louvre et mes premiers défilés”, raconte-t-elle. Elle rejoignait Paris en train avec sa carte Orange. Puis elle s’est offerte une Fiat 500 d’occasion repeinte en noir mat. “Très avant-garde pour l’époque. Je parcourais 120 kilomètres par jour dans ce petit pot de yaourt qui tremblotait. De retour tard le soir, je baissais les vitres pour ne pas m’endormir au volant. Quand j’ai commencé le mannequinat, cela semblait extravagant aux gens que je rentre chez moi à la campagne. Quand j’avais un dîner, je me changeais dans un parking. L’avantage aujourd’hui, c’est qu’on n’a plus besoin de se change pour les diners !”
Tout entière dans ce sourire éclatant, cette aisance naturelle, ce regard bienveillant, Inès l’assure : “Sur un baiser d’autres pour être heureux, l’amitié est ma valeur refuge.” Ce sont de récents Guide de développement collectif, pied de nez à ceux qui croient que “le moi es roi”, Je confirme. Quoique choisi en 1989 par les maires de France pour prêter ses traits à Marianne, l’ex-mannequin dit franchement que cela ne lui “Je n’ai jamais mis la grosse tête”. Elle fut d’ailleurs une Marianne atypique, “un petit Gavroche”avec une mère argentine, une grand-mère colombienne, une autre juive qui s’appelait Lazard, de sang tchèque et polonais… Même si sa famille paternelle est issue de la noblesse française, comme son nom l’indique.
Croquis pour sa collection printemps-été 2022. Ils sont objectifs : un vêtement créatif et luxueux, mais qui ne soit pas hors de prix. (Photo : Romain BOE)
“Les étrangers imaginent que la Française est très sophistiquée, s’achète beaucoup de vêtements et porte les marques de luxe vendues dans le monde entier : Dior, Chanel, Roger Vivier… Je ne le crois pas, affirme-t-elle. Etre Parisienne est une question de style. C’est une fille qui a de l’autonomie, le sens de la liberté, mélangeant des choses sophistiquées (ou pas) avec d’autres plus sportives, capable de porter une chemise d’homme achetée au Monoprix… Et si elle met un collier, elle n’ajoute pas de boucles d’oreilles !” Une manière d’être donc ? “Ou de ne pas être !”, a répondu Inès. Car, paradoxalement, celle qui incarne le luxe, et qui est l’ambassadrice de la maison Roger Vivier, promise la simplicité, “le chic sans efforts”.
“A l’époque de Brigitte Bardot, les femmes portaient des robes vichy pour lui. Aujourd’hui, on est libre de s’inspirer de Pocahontas ou des Sex Pistols! Cela dépend des goûts et du physique de chacun. C’est plus intelligent, plus plus difficile” , l’a conclue. Dans la lignée de Denise Fayolle et Maïmé Arnodin, qui ont démocratisé la mode et le design dans les années 1960 et 1970, Inès a collaboré avec La Redoute et elle vient de signer sa 17e collection LifeWear avec le japonais Uniqlo, selon leurs valeurs, les élégance décontractée : “Le beau doit être accessible à tous. Il n’y a aucune raison que les choses soient moches.” Inès admet qu’un Château Lafite Rothschild 1947 n’est pas à la portée de tous. “Mais pour la mode”s’oppose-t-elle, c’est possible !” Sauf pour la haute couture, dont les prix s’expliquent par la préciosité des tissus, le coût de la créativité, la diffusion réduite… Ce défi d’une élégance accessible est celui qu’elle relève avec sa propre marque, Inès de la Fressange Paris, dont elle assume la direction artistique. Cette boutique se découvre au 24, rue de Grenelle (Paris VIIe) dans une ancienne fonderie. Un concept store aux airs de bazar chic, version maison de vacances.
Foulard en soie, robe et chemise en coton et lin de la collection 17e LifeWear, en collaboration avec la marque japonaise Uniqlo. Le créateur promet une élégance contractée, accessible à tous. (Photo : Uniqlo)
(Photo : Uniqlo)
(Photo : Uniqlo)
“Je me sens proche des femmes. Je leur parle comme à des copines. Et malgré leur diversité, y compris physique, j’essaie de trouver un point commun, reprendre la création. Imaginer des produits et les réaliser à un côté magique. Alors que certains envoient directement des dessins à l’usine, je travaille à l’ancienne, avec le styliste Eric Bergère, qui a une authentique culture de la mode. On correct ensemble lors des essais et on choisit jusqu’au moindre bouton. C’est ainsi que j’ai appris à travailler chez Chanel, avec Karl Lagerfeld.” L’atelier est au coeur de la boutique. Et sont faits les prototypes et les essais. Mais tout commence sur ordinateur, par des mood boards qu’Inès réalise parfois dans son lit. L’objectif? Un vêtement plus créatif et plus luxueux que ceux de la grande distribution mais qui ne pas hors de prix. Une gageure pour une société d’une quinzaine de personnes, indépendante, n’appartenant pas à l’un deux grands groupes du luxe français.
Avec Karl Lagerfeld, directeur artistique de Chanel, en 1987. C’est avec le couturier qu’elle a appris à travailler, “à l’ancienne”. (P. Guillaud/AFP)
L’ex-mannequin est fière de son côté Don Quichotte, d’autant que la croissance est au rendez-vous. “J’aime que ça marche confie-t-elle. Dans la mode, on recommence tous les six mois. Ça ne s’arrête jamais.” Sont-ils inspirants ? La rue, mais surtout les tissus : “Je vois immédiatement les vêtements qu’on peut en faire”, explique-telle. Et aussi les anciens modèles que les chinois leur donnent des brocantes, sans un détail ni une proportion qui puisse les stimuler. Même si elle assure qu’il faut “donner du mal”, Inès aime flâner, jouer les dilettantes. S’accorder du “temps pour rien”in croyant à la sérendipité.
Saisir l’imprévu, sauvegarder la légèreté est dans sa nature. C’est un art de vivre qu’incarne notre Parisienne. In temoigne sa newsletter hebdomadaire (60 000 lecteurs) proposant des adresses, des bons plans, des coups de cœur (films, livres), des photos prises par elle-même, en suivant ses seuls goûts, sans se soumettre à l’actualité, ni à la pression d ‘annonceurs. Bref, l’une des Françaises les plus populaires au monde, incroyablement populaire (419 000 abonnés sur Instagram), est décidément une femme libre.
Avec Eric Bergère, directeur de collection d’Inès de la Fressange Paris. L’atelier est au coeur de la boutique, ou ce sont les prototypes et les essais. (Photo : Romain Boé)
À LIRE
La Parisienne. Édition anniversaireInès de la Fressange, Sophie Gachet, Flammarion, 240 pages, 25 euros.
Le bonheur c’est les autres. Guide de développement collectifInès de la Fressange, Sophie Gachet, Olga Sekulic, Flammarion, 144 pages, 21,90 €.
Par Rodolphe Fouano